vendredi 31 octobre 2008

Réponse à un copain anarchiste sur l'islam

Chers amis,

Je me permets de vous faire suivre ma réponse au mail d'un copain anarchiste, très engagé sur la Palestine mais très anti-religieux. Il n'est pas islamophobe mais il défend Siné et surtout s'offusque du fait qu'une association de soutien à la Palestine puisse faire un repas de f'tour samedi. Ce qui pour lui dénoterait d'un retour inquiétant du religieux jusque dans les cercles militants. Je lui donne mon opinion sur la religion, Siné etc. Cela dit j'insiste encore pour dire que c'est un type très sincère sur la Palestine où il est allé plusieurs fois.


La normalité n'est pas l'absence de religion. Parler « d'un retour du religieux » et s'en inquiéter n'a de sens que si l'on considère que l'absence de religion est la normalité. Or, même si l'anticléricalisme se justifie largement en France, même si je comprends qu'on s'en prenne à tel imam zélote ou dignitaire de l'islam rétrograde, il n'en demeure pas moins que je n'arrive pas à comprendre le fait que l'on s'en prenne à tous les croyants. En faisant un petit détour par l'histoire, on ne peut même pas dire que globalement les guerres de religion aient été plus meurtrières que les guerres « simples ». Hitler et Napoléon n'étaient pas spécialement croyants. Quant à l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, je crois même pouvoir dire que les chrétiens (pas le pape, ni la haute hiérarchie bien sûr sauf Monseigneur Salièges de Toulouse natürlich ) ont été plutôt plus actifs que les autres, notamment dans le sauvetage des juifs. La Cimade, Témoignage Chrétien etc. Dans la guerre d'Algérie aussi d'ailleurs. Notamment dans les réseaux de soutien au FLN. En fait la religion n'est qu'une instance neutre, déterminée par l'individu, l'époque, la classe sociale, les conditions objectives, subjectives. L'athéisme idem. Que l'on puisse s'offusquer de l'organisation d'un repas de ramadan, dépasse mon entendement. Surtout quand personne n'est obligé de jeûner. Depuis le temps que je fréquente des athées, j'ai toujours toléré leur absence de foi et leur irrespect de la religion, c'est leur droit. Mais pas l'irrespect des croyants. Les athées comme les croyants peuvent être sujets au dogmatisme. Le problème c'est le dogmatisme et non le fait de croire ou pas. On peut être libre dans sa foi comme asservi dans son athéisme et son apparente liberté. Leur intolérance, c'est la raison qui m'a fait quitter les milieux anars dans lesquels j'ai entrepris ma carrière militante.


Certes, je suis loin d'être un parfait musulman et n'aime pas la bigoterie mais je suis un croyant sincère. Je respecte le ramadan et essaye de conformer ma vie à une certaine éthique. Cela dit je continue d'espérer dur comme fer, l'avènement d'une société sans colonialisme, et de préférence sans Finkielkraut ni Val ni Mohammed Sifaoui. Dans le respect de toutes les confessions ou absences d'icelles. C'est compatible et en tout cas je n'admettrai jamais sans réagir que les musulmans S'imaginer que le désir de progrès social se trouve davantage chez les athées que chez les croyants est une erreur fatale que l'histoire dément tous les jours. Au contraire. A tous les exemples donnés par Nico sur le rôle du religieux dans les luttes sociales radicales, il y en a un autre que j'aime bien. C'est celui de John Wyclif, théologien anglais qui inspira la belle et glorieuse révolte des Lollards, paysans et tisserands, conduits par Wat Tyler. Contre le servage et les impôts écrasants. Celle ci vers 1380 réussit à s'emparer de Londres pendant quelques jours avant que les nobles n'assassinent par traîtrise ce même Wat Tyler. Avant cela, plusieurs têtes d'évêques servirent de ballons aux Lollards et pourtant la foi religieuse guidait cette révolte. La foi religieuse mais également la foi communiste ou anarchiste ont guidé maints et maints combattants sur le chemin de la résistance et du martyr communs. Quelle différence entre les mineurs des Asturies ou les combattants anarchistes qui en 1936 se jetaient le corps bardé de dynamite contre les mitrailleuses franquistes, les fusillés communistes de l'affiche Rouge en 1943 et les moujahidines algériens de 1958 ou autres combattants musulmans du sud Liban qui inspirés par le sacrifice d'Ali réalisèrent les opérations martyrs décisives que l'on sait ?
Qu'importe la foi, pourvu qu'on ait la transcendance. Chacun la trouve où il le peut. C'est rarement le seul dénuement ou la seule addition des perspectives matérielles qui font bouger les hommes. Sinon il y a longtemps que la révolution mondiale se serait faite. C'est bien souvent plutôt la recherche de dignité intimement liée à l'espoir et à la foi qui se confondent alors. Il peuvent procéder de voies apparemment opposées mais convergent au final. On pourrait multiplier les exemples: Camillo Torrès, prêtre et chef d'une guérilla colombienne ne disait pas autre chose que Che Guevara, l'athée, dans son foco de Bolivie. Ils sont morts tous deux les armes à la main, face à l'impérialisme, chacun avec sa foi, différente en apparence seulement. S'imaginer que les fedayins palestiniens, se battent simplement pour un bout de terre qu'ils disputeraient aux sionistes, c'est ne rien avoir compris à leur lutte. C'est la recherche de leur dignité d'homme que le sionisme leur a ravi qui est le moteur de leur cause. Sinon ils auraient accepté depuis longtemps n'importe lequel des plans de compensation qu'on leur propose depuis 60 ans.. Depuis une 20 taine d'années étant donnée l'ampleur du défi et l'âpreté de la lutte, la foi patriotique palestinienne a trouvé un supplément d'âme dans l'Islam politique. Cette convocation du religieux doit être regardée comme un élément stratégique imposé par les évènements davantage que par soudaine une poussée de religiosité. Et ce qui est valable pour la Palestine l'est pour le reste du monde arabo-musulman.


En Algérie pendant la guerre civile des années 90, la césure ne fut jamais entre ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas. En réalité comme partout, le fond du problème n'a toujours été que la question du pouvoir. L'Islam en France est globalement qu'on le veuille ou non la religion des opprimés. S'en prendre à des bigots réacs d'accord, mais pourquoi railler le simple fidèle qui préfère le réconfort de son dieu à celui du Ricard ou de la seringue et la fraternité de la mosquée pour échapper au spleen du bar tabac glauque ou au mur qu'on n'en finit plus de tenir en bas de sa tour ? Même si effectivement cela n'est pas toujours simple à gérer. Je crois que les Français feraient bien de s'inspirer de l'Amérique latine où la théologie de la libération a défriché ce genre de débats depuis longtemps.

Je n'admets pas, même si Siné a été un type formidable pendant la guerre d'Algérie qu'il écrive son envie de « botter le derrière » des jeunes filles portant le voile. Rien ne justifie cette offense. Et pourtant j'adorais l'humour de Charlie hebdo des débuts, car même débridé, il n'était jamais offensant pour les pauvres. C'était surtout du second degré. Maintenant n'importe quel gros beauf de lecteur de Charlie peut se sentir investi du devoir suprême de civiliser à coups de bottes toute musulmane rencontrée avec un hijab. Puisque Siné le propose si élégamment. Et il se prendra pour un héros en plus. Taper sur la religion musulmane à bras raccourcis même pour pouvoir justifier les attaques contre Israël me parait de la plus haute débilité et surtout la marque d'une lâcheté évidente. A votre avis quel peut être l'effet des paroles de Siné sur telle ou telle musulmane à qui il est arrivé de se faire arracher son hijab dans la rue ou de se faire renvoyer d'une auto école comme cela vient encore de se produire ? Attend-t-on d'elles que leur sens de l'humour l'emporte sur la crainte ? De toute façon, je n'ai jamais compris pourquoi les croyants insupportent à ce point les athées ? Serait ce l'expression d'un manque d'assurance en leur foi athée ? J'ai soutenu Siné contre Val et je pense qu'il faut continuer à le faire mais l'islamophobie doit cesser d'être une passion française, ce n'est pas un jeu. Rappelons nous, concernant Tarik Ramadan, comment Siné et sa bande hurlèrent avec les loups contre lui. J'aurais bien aimé qu'alors se lèvent les mêmes défenseurs de la liberté d'expression car ce sont bien les prises de position courageuses de Tarek Ramadan sur la Palestine qui lui valurent entre autres un tel ostracisme. Et le même Askololovitch d'être son accusateur. Au lieu de cela, jamais consensus ne se fit plus ample en France contre un homme seul. C'en fut obscène. De Charlie au Figaro, de Sarkozy à Clémentine Autin. Val et Siné partagent le même fond de commerce anti musulman. Je ne crois pas que je lirai ce nouveau canard car l'humour gaulois et la vulgarité à la J.M.Bigard, ça me hérisse le poil. Cela dit il a parfaitement le droit de détester l'Islam s'il le veut mais c'est tellement facile que c'en est pitoyable. Nous sommes là face aux démons français. L'incapacité à penser un autre système de valeurs. Que d'autres aient eu une expérience différente avec la religion leur semble inconcevable. Accepter loyalement l'existence de croyants comme les croyants doivent loyalement accepter l'existence d'athées. Dans le respect mutuel. Car le problème n'est pas croire ou ne pas croire, il est d'abord d'avoir foi en la lutte.

Il faut relire le très beau poème d'Aragon sur la résistance « La Rose et le Réséda ». Je vous le livre en prime.


LA ROSE ET LE RÉSÉDA (Louis Aragon )


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats

Lequel montait à l'échelle et lequel guettait en bas


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Qu'importe comment s'appelle cette clarté sur leur pas

Que l'un fut de la chapelle et l'autre s'y dérobât


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras

Et tous les deux disaient qu'elle vive et qui vivra verra


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Du haut de la citadelle la sentinelle tira

Par deux fois et l'un chancelle l'autre tombe qui mourra


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Ils sont en prison

Lequel a le plus triste grabat

Lequel plus que l'autre gèle lequel préfère les rats


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas

Et quand vient l'aube cruelle passent de vie à trépas


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Répétant le nom de celle qu'aucun des deux ne trompa

Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu'il aima

Pour qu'à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat


Celui qui croyait au ciel celui qui n'y croyait pas

L'un court et l'autre a des ailes de Bretagne ou du Jura

Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera

Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla

L'alouette et l'hirondelle la rose et le réséda


Youssef Boussoumah